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Récipiendaire du prix Porteur d’espoir 2017 du Jour de la Terre, Québecor, MAtv, en collaboration avec ENvironnement JEUnesse, Laurence vous emmène dans les coulisses de ses aventures écolo, de ses réflexions et de ses projets pour améliorer le sort du monde! Au rythme d’expériences et de voyages, elle cultive l’espoir que de nombreux projets novateurs existent et que de faire une différence dans sa communauté est possible! Elle tentera de vous partager quelques idées qui construisent son quotidien, afin de peut-être inspirer la création d’autres d’initiatives vertes et porteuses d’espoir…
Située sur la Côte Nord environ à la hauteur de Longue-Pointe-de-Mingan, l’île d’Anticosti représente un territoire un peu mystique dans l’imaginaire collectif des Québécois. Ses 200 habitants se partagent un territoire environ 16 fois plus grand que l’île de Montréal, avec 200 000 chevreuils et des paysages à couper le souffle. Paradis de la chasse, couchers de soleil incroyables, eau limpide et rivières à saumon… chacun entretient une image des lieux, mais très peu de gens s’y aventurent. La découverte de gisements pétroliers et la vente de permis d’exploration pétrolière sur l’île lui a accordé, au cours des dernières années, une certaine attention médiatique. Que faire avec le pétrole d’Anticosti ? Qui posséderait la légitimité de prendre cette décision d’envergure ?
Ayant travaillé pour divers groupes écologistes et environnementaux, je suis familière avec le langage et les points de vues des militants. Mais qu’en est-il de celui des habitants de la Côte-Nord ? Des chasseurs, des pêcheurs, des propriétaires terriens, des maires de petits villages côtiers qui subissent les conséquences économiques de l’exode des jeunes et des changements climatiques ? etc. Pour défendre un territoire avec légitimité, il faut d’abord le connaître, l’explorer, le comprendre. C’est avec cette motivation que je me suis lancée dans l’aventure de l’école d’été Anticosti : enjeux et débats du cours thématiques locales et régionales de l’Université de Sherbrooke. Quelque part entre mai et juin cette année, nous étions donc 13 étudiants, avec des profils académiques variés, à s’aventurer sur l’île, pour y étudier les enjeux de développement économique et notamment, de l’exploitation du pétrole.
Crédits : Charles Bergeron, étudiant de l’école d’été.
Anticosti : un contexte particulier
Prendre le temps d’étudier quelque peu l’histoire de cette île nous permet de mieux saisir la complexité du contexte sociohistorique de ce territoire. Convoitée pour ses ressources fauniques et forestières, l’île a d’abord été un territoire de chasse à l’ours pour les Innus de la Côte-Nord, puis a abrité des tentatives de peuplement canadien-français et des villages de pêcheurs anglophones jusqu’à l’arrivée d’Henri Meunier. Vers les années 1900, ce riche chocolatier français a acheté l’île et la gérait comme une seigneurie ; les habitants qui souhaitaient y rester devaient travailler à son compte. À l’époque, c’est aussi lui qui a introduit la centaine de chevreuils qui, maintenant évaluée à près de 200 000, contribue à perturber l’écosystème forestier. Après le règne Meunier, les résidents de l’île ont assisté à celui de la compagnie forestière Power Corporation. Cette dernière gérait l’île comme une business et le peuple possédait peu d’autodétermination. Ensuite le gouvernement en est devenu propriétaire en 1974, et Anticosti ne s’est finalement municipalisée qu’en 1984. Après avoir été « colonisée » pendant tant d’années, peut-être qu’une population souhaite pouvoir décider par elle-même de l’utilisation de ses ressources naturelles. Peut-être souhaite-t-elle, enfin, qu’on cesse de décider à sa place… Mais que faire lorsque cesdites ressources ont le potentiel d’enrichir ou de contaminer une province ? Comment démocratiser la prise de position face à cet enjeu, tout en respectant le puissant désir d’autodétermination de la population locale ?
Alors que les compagnies pétrolières ont fait miroiter un important potentiel d’hydrocarbures dans le sous-sol de l’île, un débat médiatique s’est créé autour de la problématique ; écologistes, scientifiques, universitaires, compagnies privées et décideurs publics se sont lancé la balle pendant quelques années à savoir si oui ou non, le Québec devrait être en faveur d’une telle exploitation. Récemment, nous avons appris que les forages prévus pour l’été 2017 sur l’île ne seraient pas réalisés[1], et que le gouvernement étudiait une forme de compensation financière à octroyer aux compagnies pour finalement préserver l’île[2].
Cap sur l’île d’Anticosti!
Pour nous plonger dans ce dossier riche et complexe en termes d’enjeux à analyser, nous avons d’abord eu la chance d’assister à quelques séminaires préparatoires, où des politicologues, des biologistes, des philosophes, des ingénieurs, des économistes, des sociologues, et une géographe nous ont partagé leurs recherches et leurs opinions à ce sujet. Ces derniers ont permis de mettre la table, d’identifier les enjeux propres au territoire d’Anticosti, à sa culture et à ses habitants.
Ensuite, notre périple a pris la forme d’un road trip, où nous avons rencontré en cours de route différents acteurs qui prennent part à ce débat dans l’espace public. De Montréal à Longue-Pointe-de-Mingan, nous y avons rencontré des groupes écologistes, le directeur du Conseil du patronat du Québec, différents représentants du MDDELCC et du MFFP, des représentants des partis politiques, des compagnies pétrolières, des compagnies privées, des organisations vouées au développement économique de la Côte-Nord, des Innus et des groupes communautaires. Ces différents acteurs avaient des opinions plutôt contrastées et se proclamaient tous légitimes de prendre part au processus décisionnel entourant l’avenir d’Anticosti. Nous tentions de noter avec le plus de neutralité possible leurs discours, nous mettant dans la peau des décideurs publics qui se doivent de récolter les informations nécessaires à une prise de décision éthique.
Nous avons par la suite traversé en zodiac jusqu’à Anticosti, en croisant quelques marsouins et petits rorquals sur la route. Dès le moment où nous avons accosté, nous avons tous senti une vague d’apaisement et de mystère à la fois nous envahir. Cette île qu’on étudiait de loin depuis plusieurs semaines devenait réelle, visible, odorante. Ça sentait la mer, le sable, les algues. Ça sentait l’épinette et la mousse, mais aussi un peu la solitude et l’isolement.
Auberge de jeunesse de Pointe-Ouest, Anticosti. Crédits : Charles Bergeron, étudiant de l’école d’été.
Nous nous sommes installés à l’Auberge de jeunesse de Pointe-Ouest qui est gérée par un collectif d’artistes, issu du projet Résidence nomade. Nos 12 visages étrangers ont rapidement attiré la curiosité des villageois, créant ainsi de belles rencontres et d’intéressantes discussions! Nous avons eu la chance d’échanger avec plusieurs citoyen-ne-s d’Anticosti, le maire et certains conseillers municipaux, le groupe Vigilance Hydrocarbures, la Sépaq et les pourvoiries. Ces quelques jours passés sur l’île nous ont permis de nous approprier le territoire et ont bousculé nos idées préconçues, adouci nos visions, et aiguisé notre compréhension de cet enjeu, qui devenait de plus en plus complexe.
Lors de notre dernier jour sur l’île, nous avons même organisé un colloque sur la thématique des enjeux liés au développement économique de l’île pour les citoyens. Plusieurs spécialistes sont intervenus dans le cadre des quatre panels thématiques : les particularités de l’île et de ses activités économiques ; sa demande à être reconnue comme patrimoine mondial de l’UNESCO ; le capital de sympathie entraîné par cette dernière ; et un showcase des projets locaux. L’objectif était de rassembler le plus d’informations sur les activités économiques de la région et de mettre en valeur les alternatives au développement pétrolier. Des projets de quartier de mini-maisons, des nouveaux sentiers de trekking, un jardin communautaire, une ferme biologique pratiquant l’autonomie alimentaire, l’obtention du statut d’insularité et la mise en place d’une connexion maritime stable sont quelques exemples des solutions proposées par les citoyens pour dynamiser leur île.
Bref, cette expérience incroyable nous a permis d’aller à la rencontre d’un territoire magnifique et d’une population aussi chaleureuse qu’accueillante. La culture anticostienne est imbriquée dans son rapport à la nature, ce pour quoi la protection des écosystèmes, bien que perturbés par l’omniprésence du cerf de Virginie, demeure la priorité de la majorité des insulaires.
Le déplacement jusque sur l’île, l’hébergement, les frais d’inscription à l’Université puis à cette école d’été représentaient pour moi une facture importante, mais grâce à la bourse Porteur d’espoir 2017, j’ai pu réaliser cette expérience!
Pour poursuivre la réflexion, différents documentaires réalisés sur Anticosti :
- Anticosti, la chasse au pétrole extrême, Dominique Champagne.
- L’Anticoste, Bernard Gosselin.
- Le cri silencieux du chevreuil, Francis Riendeau.
- Anticosti : La ruée vers le gaz de schiste, Vice.
Sources
[1] Pétrolia: pas de travaux sur l’île d’Anticosti cet été
[2] Le mythe du pétrole à Anticosti a un coût
Crédits de la photo en couverture : Charles Bergeron, étudiant de l’école d’été, 2017.
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