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Le livre blanc « Numérique et environnement », publié par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) il y a un an est un appel à faire collaborer deux transitions : celle de l’écologie et celle du numérique. Malgré les apparences, le numérique n’est pas encore un facteur positif pour l’environnement alors qu’il pourrait parfaitement le devenir, comme le souligne le dernier rapport de l’Agence de l’environnement et du développement durable. Explications.
« A l’heure des data center géants, de l’Internet des objets et de la dématérialisation il est urgent de rationnaliser, organiser et réguler les activités numériques pour les mettre au service de la transition écologique » pourrait être la phrase-clef du Livre blanc « Numérique et environnement — Faire de la transition numérique un accélérateur de la transition écologique »
Publié par l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), avec la Fing (Fondation internet nouvelle génération), l’ONG de défense de l’environnement WWF, le blog GreenIT.fr et soutenu par le CNNum (Conseil national du numérique), ce rapport débute par des constats sur la transition numérique en cours— réalistes — pour ensuite apporter des solutions. Le Livre blanc a été présenté aux Secrétaires d’Etat Brune Poirson et Mounir Mahjoubi le 19 mars 2018.
Les principaux constats, de façon générale, ont trait au manque de convergence et de liens entre les acteurs de la transition numérique et ceux de la transition écologique :
« Pour réussir cette convergence du numérique et de l’écologie, leurs acteurs respectifs doivent développer des méthodologies et des stratégies d’action partagées pour réduire les impacts environnementaux du numérique et mettre son potentiel d’innovation au service de la transition écologique. Ils doivent développer une culture commune. Malheureusement, les acteurs de l’écologie demeurent trop rares à s’approprier le potentiel du numérique, tandis que ceux du numérique font comme si le caractère apparemment « immatériel » du numérique et ses effets en termes d’efficience suffisaient à le rendre vertueux ».
– Extrait : Livre blanc « Numérique et environnement »
Un rapport de l’ADEME (Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie) vient d’être publié, en février 2019, et permet de relancer ce Livre blanc par une analyse très complète centrée sur les problématiques énergétiques liées au développement du numérique : « L’impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires ». Au delà des apparences et du marketing, les concepts en vogue de « smart cities », Internet des objets, futurs transports intelligents et autonomes, services dans le nuage, etc, ne sont pas sans impact sur l’environnement, au contraire. Et c’est cette contradiction que ces deux rapports soulignent, tout en apportant des solutions aux pouvoirs publics pour parvenir à les résoudre.
Plus « intelligents » mais pas moins polluants
Le concept de « smart » (intelligent) est de plus en plus accolé à de nombreuses activités où le numérique s’implante : agriculture, réseaux de transport, réseaux électriques, éclairages urbains, optimisations diverses et variées : de la gestion des déchets à la localisation des fuites d’eau en passant par les alertes météo en temps réel. Tout cet écosystème « d’optimisation numérique » (smart) est positif en termes « d’amélioration énergétique directe », mais a des conséquences environnementales indirectes négatives, qui elles ne sont souvent pas prises en compte. Le Livre blanc souligne cet aspect méconnu de « l’impact négatif par rebond » des « smart technologies » :
« (…) l’optimisation, sans être négligeable, ne suffira pas à répondre au défi écologique qui nécessite de diviser notre consommation d’énergie et d’autres ressources rares par 4, 5 ou plus dans les décennies à venir. Par ailleurs, l’optimisation s’analyse souvent comme un gain de productivité et a pour résultat de multiples effets rebonds, c’est à dire une augmentation des volumes produits par la baisse des prix, la diversification et le renouvellement des gammes. »
– Extrait : Livre blanc « Numérique et environnement »
La voiture autonome, citée en parangon de vertu écologique puisqu’électrique et pilotée par intelligence artificielle n’échappe pas aux critiques : si ce futur véhicule optimise les trajets, évite les accidents, suit parfaitement les limites de vitesse et peut servir de transport collectif automatique, sa gourmandise en données informatiques en fait par contre un « gouffre à centre de données » (data centers). Et les centres de données sont énergivores en électricité comme en eau :
« Intel prévoit que chaque voiture connectée et dite autonome produira 4 téraoctets de données par jour, ce qui équivaut à la quantité de données produite en 1 jour par 30000 personnes, précise l’entreprise. Même si la majorité des données est traitée par les équipements informatiques internes de la voiture, beaucoup de données devront être traitées par les data centers externes (en mode edge ou centralisé). »
– Extrait du rapprt de l’ADEME : « L’impact spatial et énergétique des data centers sur les territoires »
La transtion numérique, en apparence bénéfique pour la transition écologique et énergétique, bien qu’ayant des effets négatifs indirects induits, est aussi pointée du doigt pour ses aspects destructeurs de l’environnement dans sa conception même et ses activités intrinsèques :
(…) chaque dispositif numérique a un impact direct sur la planète : utilisation de ressources non renouvelables plus ou moins rares, pollutions diverses participant à l’écroulement de la biodiversité, contribution aux changements climatiques, etc. Ces impacts directs ont lieu tout au long du cycle de vie des équipements électroniques : extraction des matières premières, transformation en composants électroniques, utilisation et fin de vie (…) faute de traitement approprié, on estime que 70 % des métaux lourds présents dans le sol des décharges nord-américaines proviennent des équipements électroniques qui s’y décomposent pendant des centaines d’années. Sans parler des data centers du monde entier, déjà responsables, à eux seuls, de l’ordre de 2 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales, soit autant que tout le trafic aérien.
– Extrait : Livre blanc « Numérique et environnement »
Les « chantiers » pour faire converger transition numérique et écologique
Quatre chantiers sont proposés par l’Iddri :
1) Réduire l’empreinte écologique du numérique
2) Utiliser le numérique pour mieux concevoir les politiques écologiques
3) Soutenir l’innovation numérique en faveur de l’écologie
4) Mobiliser le potentiel des données au service de la transition écologique
Chaque chantier du Livre blanc est composé de propositions transversales : les solutions soumises aux pouvoirs publics pour permettre au numérique de participer ou accompagner la transition écologique. Cette somme de préconisations passe par des mesures déjà connues — et en discussions—, comme le meilleur recyclage des appareils, l’extension des garanties à 5 ans des appareils numériques, l’application de la lutte contre l’obsolescence programmée ou des « bilans Green IT » dans les entreprises (sorte de certification verte pour les technologies numériques utilisés en entreprise). Mais au-delà du « verdissement » technologique, des propositions transversales beaucoup plus « humaines » et sociétales sont mises en avant, comme le soutien aux « civic tech » (usages de la technologie dans le but de renforcer le lien démocratique entre les citoyens et le gouvernement, ndlr) :
Engager un programme d’innovation et d’expérimentation en faveur des civic tech pour la transition écologique. Les projets soutenus associeraient des entreprises ou des collectifs qui développent ces outils avec des ministères, des établissements publics ou des collectivités territoriales qui s’appuient dessus pour associer les parties prenantes à l’élaboration de stratégies de transition écologique.
– Extrait : Livre blanc « Numérique et environnement »
D’autres propositions incitent les pouvoirs publics à effectuer des programmes d’évaluation des effets écologiques des technologies numériques, de rapprocher les acteurs de la « Green tech » et de la « French tech », de créer des bases de données publiques pour analyser les impacts environnementaux, ouvrir les données sur la biodiversité, la gestion des déchets, etc…
Une stratégie globale écolo-technologique
Le Livre blanc « Numérique et environnement » de l’Iddri est au final une sorte de manifeste pour une stratégie globale de mise en œuvre de la transition écologique grâce aux outils numériques. Une sorte de manuel de « politique écolo-technologique ». Le rapport de l’ADEME sur les problématiques de stockage des données liées à l’environnement quant à lui évalue en profondeur toutes les problématiques actuelles et futures de la gestion physique des données et ouvre des pistes de réflexion sur la nécessité d’alternatives au modèle actuel hyper centralisé des centres de données (data center), très critiqué dans ce document. Tout comme l’Iddri, l’ADEME estime que le numérique peut passer du problème à la solution, dans la transition énergétique et écologique, mais souligne par contre la nécessité d’assouplir le modèle actuel, en s’appuyant plus sur des acteurs différents ou des technologies alternatives, comme le stockage distribué de données :
Des solutions de cloud pair-à-pair émergent actuellement. Comme le souligne la chercheuse Francesca Musiani , « l’idée centrale sous-tendant ces dispositifs est que les fichiers et les contenus téléchargés par les utilisateurs dans le système sont stockés, totalement ou en partie, sur un nuage de stockage composé d’une partie des disques durs de chaque utilisateur, reliés entre eux en architecture P2P. »
– Extrait du rapport de l’ADEME
Ou bien encore, la dynamique « low tech et citoyenne » basée sur « des petits data centers que l’on pourrait qualifier de « proximité », comme un commerce ou un équipement, qui sont une option également à explorer. » Le réseau CHATONS (Collectif des Hébergeurs Alternatifs,Transparents, Ouverts, Neutres et Solidaires) est cité en exemple, ainsi que des fournisseurs d’accès Internet (FAI) indépendants membres de la FFDN (Fédération french data network, fédération de FAI alternatifs non commerciaux) tels Tetaneutral à Toulouse, Aquilenet à Bordeaux ou SCANI dans l’Yonne.
Ainsi, stockage distribué dans les terminaux informatiques et petites data centers de proximité constituent une solution possible pour réduire les impacts spatiaux (emprise au sol notamment) et énergétiques des data centers. Si aujourd’hui, l’hébergement, le stockage et le traitement des données restent majoritairement aux mains d’opérateurs marchands, les opérateurs de la société civile se développent et les acteurs publics déploient également leurs propres infrastructures. Le développement de data centers publics pourrait ainsi constituer une perspective permettant un rapport aux territoires plus coordonné, accompagné d’exigences en termes de mutualisation et d’économie d’énergie.
Que ce soit avec le Livre blanc « Numérique et environnement » ou le rapport de l’Ademe sur les data centers, un fil conducteur commun ressort : la transition numérique en cours n’est pas « gérée » ou pensée globalement bien que pouvant parfois servir la transition écologique ou au contraire la desservir, alors que son potentiel est énorme pour permettre cette dernière.
Une fois encore, comme pour de nombreux autres sujets, c’est la volonté politique et donc l’action des pouvoirs publics qui pourrait imprimer les changements nécessaires pour faire converger ces deux transitions, à la fois incontournables et potentiellement complémentaires. C’est en tout cas ce que ces deux rapports soulignent… et démontrent.
Retrouvez plus d’articles d’actualité de la série « L’environnement en péril » sur le site de TV5 Monde.
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